vendredi 6 novembre 2009

Un spectacle inoubliable

L’impression d’une immense feuille de papier blanc éblouissante...flottant dans l’air, devant nous. De derrière, un homme entre. On ne voit pas ses jambes encore... Lui aussi, il flotte.
Puis il monte quelques marches, et se tient debout sur la « feuille » qui est maintenant de source sûre très solide. Il marche lentement, très lentement, dans un mouvement continu, si bien que l’on peut avoir l’impression qu’il est immobile.Au bout d’un temps indéfinissable, et preuve qu’il n’était pas immobile, il est arrivé à l’avant scène, côté jardin. Cette feuille de papier est bel et bien une scène, un plateau de théâtre, au sommet de
la Colline.
Il commence à lever un de ses bras, encore très lentement... Une fois sa main arrivée là où il le voulait, peut-être, il se met à parler. J’avais déjà presque oublié qu’il y allait avoir de la parole, du son. Le silence avait remplit déjà toute ma tête, puis toute la salle, ou bien le contraire... Alors cette parole fut un gouffre. Ce texte, que je trouvais déjà magnifique résonnait au-delà de ce que j’avais pu imaginer.Tout ce que j’avais pu lire de la théorie de Claude Régy m’intéressait grandement en tant que comédienne et metteur en scène mais je ne m’attendais pas à un tel choc affectif.
Tout mon corps se tendait vers l’avant. Mes yeux restaient fixes et se déplaçaient lentement d’un comédien à un autre. Les costumes ne m’apparaissaient que comme des formes, pouvant s’entrelacer quand les acteurs se touchaient.
J’ai senti que les « passeurs » n’était pas les « personnages », mais qu’ils dévoilaient tellement leurs propres sensibilités que toute parole faisait sens. Leurs voix étaient d’une douceur incroyable, qui n’était pas altérée par l’effort technique de se faire entendre. Les mots émergeaient du silence, d’un silence commun, entre
les acteurs, et petit à petit entre les acteurs et les spectateurs.

Le texte est criblé, presque ponctué de « oui ». Et chaque « oui » était un bonheur en plus à chaque fois. Ils étaient ouverts, aériens, sans être trop poussés non plus. Ils se suspendaient petit à petit dans tout l’espace. Et le tragique de la fable en était d’autant plus soutenu qu’elle était terriblement belle, entrelacée de tous ces « oui »... des sourires...
Et puis, la poésie des mains…Tous avaient des micros mouvements de mains, et de doigts, très étranges. Ils me donnaient l’impression de palper l’air. L’air était donc, à mes yeux, beaucoup plus dense, voire étouffant. Mais sur cette feuille de papier, les passeurs évoluaient comme dans du coton invisible, qu’ils malaxaient dans leurs doigts... Toutes ces mains mouvantes étaient très troublantes.

Je suis sortie de ce spectacle les larmes aux yeux, incapable de parole, et cela me trouble encore de l’exprimer ici. J’étais « dedans » d’une manière presque trop violente pour moi, sans pouvoir penser, ou avoir su recul face à se qui se passe devant soi...
Le silence était un cri.

C’était Variation sur la mort, de Jon Fosse, mis en scène par Claude Régy au théâtre de la Colline en 2003
Auteur : Kim Aubert